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Marie Pezé : J’ai mal à mon travail

| 2 juillet 2015
Marie Pezé : J’ai mal à mon travail

La souffrance au travail a toujours existé. Mais si on l’identifiait clairement « avant », elle est aujourd’hui plus difficile à appréhender : de physique, cette souffrance est devenue psychique. La cause en est en particulier la réorganisation du travail née dans les années 80. Marie Pezé, Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert auprès de la Cour d’Appel de Versailles, a accepté de nous éclairer sur le mal de notre siècle.

Dès le début de notre entretien, le ton est donné et ne variera pas : nous sommes aujourd’hui dans une mauvaise définition du travail, pseudo-scientifique, qui fait du mal aux hommes, au salariés. En demandant à ces derniers de s’adapter à un travail, les entreprises fonctionnent à l’envers et créent une souffrance, invisible mais réelle. Et personne n’est épargné.

« Les nouvelles organisations du travail font peu de cas du corps des salariés. Il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir que ça existe »

Comportements agressifs, dépressions, diabètes, burnout, fracture du myocarde… La liste des pathologies est aussi longue qu’une nuit d’hiver. « On en parle depuis une trentaine d’années, mais il a fallu attendre la vague de suicides des cadres au Technocentre de Renault ou chez France Telecom pour réaliser que cela ne touchait pas que les personnes les plus fragiles », explique Marie Pezé.

« Les cliniciens ont fait apparaître de vrais tableaux de pathologies, de telle sorte qu’on sait aujourd’hui parfaitement dire quels effets auront telle organisation du travail sur la santé des employés ». Car c’est bien l’organisation du travail qui est pointée du doigt.

« Faire travailler les gens sur différents projets simultanés augmente de 66 % les comportement agressifs entre collègues, toutes catégories confondues »

« Aujourd’hui, la charge de travail ne pèse plus physiquement sur les épaules ou sur les bras des salariés, mais sur leur système cognitif ». Cette véritable fatigue nerveuse nait de deux réalités du quotidien en entreprise : la surcharge de travail et le sentiment d’isolement. « La surcharge nait de la différence entre travail prescrit et travail réel : un manager prescrit des tâches en oubliant que leur réalisation s’accompagnent d’une multitude de sous-tâches ou de tâches complémentaires qui complexifient l’ensemble et qui prennent plus de temps », reprend Marie Pezé.

 

Marie Pezé, souffrance au travail

 

Celui qui subit tout cela est également celui qui sait : le salarié. Mais celui-ci est enfermé dans un fonctionnement où son point de vue n’est ni demandé, ni souhaité… et encore moins entendu. Autre source de stress et d’angoisses : la précarité subjective dans nos organisations. « Aujourd’hui, rien n’est acquis : avoir un CDI n’assure plus une sécurité de l’emploi ».

Dès lors, comment s’en sortir ? Marie Pezé insiste sur la notion de reconnaissance. « Il est important de reconstruire un travail de qualité, qui laisse du temps au salarié et qui lui permette de se reconnaître dans ce qu’on lui demande de produire ». De fait, la psychologue précise trois des conditions qui permettraient de diminuer la souffrance au travail : avoir le soutien de sa hiérarchie (et ne plus se trouver isolé) ; un collectif de travail de qualité (avec des vraies valeurs sur le « vivre ensemble ») ; un travail de qualité, dans lequel l’employé se reconnaît (et pour lequel on le reconnaît).

Se porter bien au travail n’est donc pas hors de portée…

Marie Pezé est Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert auprès de la Cour d’Appel de Versailles.
Elle a créé la première consultation « Souffrance et travail » en 1997 au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre. Elle est responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail au CNAM.
Elle est à l’origine du site Souffrance & Travail.

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