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Tout savoir sur la reconnaissance au travail avec Evelyne Fouquereau

| 11 septembre 2015
Tout savoir sur la reconnaissance au travail avec Evelyne Fouquereau

Evelyne Fouquereau est professeure de Psychologie Sociale et du Travail au sein de l’Université de Tours. Avec certains membres de son équipe (Nicolas Gillet, et Philippe Colombat) qui comporte à la fois des psychologues et des médecins, et deux autres co-auteurs (Jacques Forest et Paul Brunault) elle est à l’origine de l’étude « The Impact of Organizational Factors on Psychological Needs and Their Relations with Well-Being » publiée en 2011 dans le Journal of Business and Psychology.

Lors de la dernière Semaine de la Qualité de Vie au Travail (organisée par le réseau Anact-Aract), le thème était les « espaces de discussion en entreprise », temps de parole qui visent à améliorer le travail au quotidien en donnant la parole aux employés. Finalement, n’est-ce pas ce dernier point qui est le plus important ?

Très clairement. Par exemple, nous avons travaillé précisément sur ces espaces de discussion dans des structures hospitalières. Ce qui ressort, ce n’est pas tant le fait que les personnes puissent y traiter les problèmes du quotidien mais qu’ils aient le sentiment d’être reconnus au travers de leur expression, c’est ça qui est fondamental.

Selon une étude de Deloitte et Cadremploi d’avril 2015, 7 salariés sur 10 ne se sentent pas reconnus à leur juste valeur. Est-ce normal ?

Je ne sais pas si c’est normal, en revanche c’est une statistique qui renvoie véritablement à une situation actuelle qui apparaît comme assez dégradée dans notre pays. Cela, on le retrouve dans toutes les études que nous menons, qu’il s’agisse d’organisations industrielles, de santé voire même d’institutions On retrouve fréquemment au premier plan cette souffrance exprimée au travers de la non-reconnaissance au travail.

 Comme d’autres spécialistes de ce domaine , nous observons dans nos recherches que ce qui relevait autrefois de la souffrance physique au travail est moins exprimé aujourd’hui alors que la souffrance psychique est plus communément relevée.

Y a-t-il différents types de reconnaissance ?

Ce qu’il faut faire d’abord comme distinction, c’est que la reconnaissance peut être manifestée de manière « objectivée » au travers du salaire, des primes éventuellement et d’un certain nombre d’avantages matériels. Mais ce qui est le plus souvent observé sur le terrain, c’est qu’on ne prend pas en compte les marques de reconnaissance plus subjectives qui s’expriment en termes de soutien, d’attention, de latitude des salariés à pouvoir s’exprimer.

Après, la reconnaissance peut aussi être étudiée comme résultant de deux origines.
D’un point de vue « proximal », c’est-à-dire la reconnaissance via les collègues. Elle est importante, mais pour autant, elle n’a pas les mêmes conséquences sur les salariés que celle manifestée par le supérieur hiérarchique direct, le n+1. Mais également à un niveau « distal », c’est à dire l’organisation dans son ensemble, ce qu’on appelle le soutien organisationnel perçu.

Alors pourquoi ces distinctions sont importantes ? Parce que les effets de la reconnaissance sur les travailleurs, diffèrent selon le niveau auquel ces marques sont manifestées

Pourquoi la reconnaissance nous fait-elle tellement de bien ?

Nous avons recours dans notre équipe notamment à un cadre théorique explicatif qui s’appelle la « théorie de la satisfaction et de la frustration des besoins psychologiques fondamentaux » (Deci et Ryan). En termes simples, on considère que lorsqu’un salarié exerce son activité professionnelle, il serait en permanence à la recherche de la satisfaction de 3 besoins psychologiques fondamentaux qui sont :

  • Le besoin d’autonomie : quel que soit le domaine dans lequel il évolue, il faut que le travailleur ait le sentiment qu’il a a minima une marge d’autonomie dans la réalisation de ses tâches professionnelles.
  • Le besoin de compétence : les salariés ont besoin à minima d’être reconnus à leur juste valeur.
  • Le besoin d’affiliation : se sentir lié et accepté par les autres tels les pairs, les collègues mais aussi la hiérarchie et l’organisation.

Prenant en compte ce cadre théorique, nous avons formulé l’hypothèse que si la reconnaissance est si importante dans le monde du travail, c’est qu’elle satisfait 2 de ces 3 besoins fondamentaux : le besoin de compétence reconnue et le besoin d’affiliation.
Lorsque je reconnais les salariés, d’une part j’estime leurs compétences et d’autre part, j’affirme qu’ils sont en lien avec la dynamique sociale de l’entreprise.

Est-ce qu’on est sûr du rapport entre bien-être et performance ?

Ce que nous avons démontré, c’est qu’il y a bien des liens de causalité entre bien-être et performance au travail. Pour ce faire, on adopte des protocoles qu’on appelle longitudinaux . En bref, nous demandons de mettre en place d’autres pratiques managériales et, dans le temps, on fait des mesures répétées.

On peut alors observer que le fait de déployer des pratiques qui intègrent la reconnaissance au travail accroît le bien-être et en retour la performance des acteurs au travail. Ces liens sont démontrés, ce ne sont donc pas des présupposés.

Alors pourquoi tous les managers ne prennent pas en compte cette dimension ? D’abord il faut nuancer le propos : je crois quand même que ce mouvement [de prise en compte de la qualité de vie au travail] va croissant. Après, ceux qui ne le font pas, je dirais que c’est souvent par méconnaissance et par absence de formation à ce niveau.

Pourquoi est-ce si compliqué pour les entreprises de valoriser l’employé ?

Tout d’abord je pense qu’il faut dire que les marques de reconnaissance dans le monde du travail existent. Mais, encore aujourd’hui, il y a une connaissance insuffisante des conséquences des effets de la reconnaissance au plan individuel et au niveau des organisations. Les chercheurs par exemple savent que lorsqu’il il y a reconnaissance, les individus se sentent mieux, éprouvent de la satisfaction personnelle et sont aussi plus performants (moins de turnover, d’absentéisme, de présentisme etc.). Le monde du travail, lui, ne prend pas encore suffisamment en compte la mesure des effets de la reconnaissance sur les comportements des salariés dans l’organisation.

Est-ce un problème typiquement français ?

Il y a des différences interculturelles en matière de reconnaissance au travail, oui, mais plus généralement en matière de conditions de travail et de pratiques managériales au sein de l’Europe. Est-ce que c’est une problématique franco-française ? Je dirais que nous faisons partie des pays dans lesquels cette problématique est particulièrement observée. Pourquoi ? Ceci est en partie lié à nos caractéristiques d’organisation de travail : dans notre pays, le tissu économique est principalement constitué de petites et moyennes entreprises dans lesquelles les structures de travail sont encore souvent des structures pyramidales avec des pratiques managériales qui demeurent assez autocratiques.

Si nous comparons avec d’autres pays dans lesquels se trouvent moins de PME et beaucoup plus de groupes plus structurés, il y a une prise en compte de la reconnaissance, des dimensions et des déterminants de la qualité de vie au travail beaucoup plus importante.

 

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