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3QA – Thibault Le Texier

| 4 mars 2016
3QA – Thibault Le Texier

Thibault Le Texier est Docteur en économie et chercheur au GREDEG de l’Université de Nice. Sa spécialité : le management. Des autres, de soi, au travail, à la maison… dans tous les aspects de nos vies. Il avait déjà piqué notre curiosité le temps d’une actualité sur l’histoire du management, nous avons décidé d’en savoir plus sur ses recherches et son nouveau livre intitulé Le maniement des hommes paru aux éditions La Découverte en trois questions.

1 – À qui s’adresse ce livre et quel est son message principal ?

Il s’adresse aux managers. C’est une exploration de leur inconscient, des préceptes théoriques qu’ils ont appris dans les écoles de commerce et de la logique qu’on leur demande de mettre en œuvre au travail.

Cette logique a été définie avec l’apparition du Taylorisme et depuis, elle a été très peu remise en question. Elle part du principe que l’individu est malléable et qu’il doit avant tout être productif et efficace. Elle instrumentalise les employés.

Ce sont ces présupposés-là que j’essaie de questionner dans le livre. Cette logique de management n’a rien de « naturel » ! Elle a été construite historiquement et peut être déconstruite comme elle a été construite pour que l’on repense le management autrement.

2 – Il y a pourtant du renouveau dans le management. Dans certaines entreprises on se soucie du bien-être des employés, on fait évoluer les méthodes… Il y a même des entreprises libérées !

Tout à fait, il y a des alternatives au management traditionnel. Toutefois, ces méthodes ne sont pas vraiment révolutionnaires. Elles ne questionnent pas les fondements du management Tayloriste. Bien souvent, le bien-être et la démocratie d’entreprise ont pour objectif d’augmenter la productivité avant tout.

L’entreprise libérée est une solution qui va dans la bonne direction mais là encore, elle ne remet pas réellement en cause les fondements du Taylorisme qui valorisent la productivité. De plus, elle peut avoir un effet pervers sur les employés : chaque individu va devoir se manager lui-même et remplir le rôle du manager. Le problème c’est qu’il n’y a plus de distance psychique entre le chef et l’exécutant. Le chef permet d’avoir une zone de liberté pour l’ouvrier. Sans manager, on demande aux employés d’être à 100 % investis dans leur travail. On remarque que c’est un système qui fonctionne surtout dans des entreprises où les gens ont un haut niveau d’études car ils sont autodisciplinés et se motivent eux-mêmes.

C’est aussi un modèle qui marche bien pour les métiers d’innovation. Dans une entreprise d’informatique par exemple, on se rend compte que laisser une certaine liberté aux employés leur permet d’être plus créatifs. Ce modèle ne s’applique pas à tous les domaines.

Ce qu’il faut, c’est questionner radicalement la logique du management qui configure notre esprit aujourd’hui. Qui nous impose certaines façons de penser, qui nous conduit à valoriser tout ce qui est mesurable et comptable  (l’efficacité)  et à dévaloriser tout ce qui n’est pas mesurable (l’expérience, la personnalité, l’intuition). On va valoriser des tests de personnalité plutôt que de se baser sur le vécu d’un individu. On privilégie le résultat d’outils de mesure plutôt que de faire confiance à nos sentiments. Si on doit évaluer ou recruter une personne, on va se fier à ses résultats au test de personnalité et pas à notre impression.

3 – Quel nouveau modèle de management proposez-vous ? Quels sont vos conseils aux managers ?

Remettre l’humain au centre du management. Le manager est là pour prendre soin des managés, c’est sa fonction. Ce n’est pas de contrôler ou surveiller. Il est là pour veiller à ce que les managés puissent bien faire le travail. Quand il arrive au bureau, il doit demander à ses équipes : « Que puis-je faire pour vous ? Comment puis-je vous faciliter la tâche ? » S’il y a une baisse de productivité, leur dire, « que puis-je faire pour que vous puissiez travailler dans de meilleures conditions ? » plutôt que d’être dans la sanction ou la menace.

Il faut inverser la pyramide. Dans une entreprise, les employés sont au bas de l’échelle mais ils ont besoin qu’on les aide à bien faire leur travail et qu’on les écoute.

Je n’accuse pas les managers de mal faire leur travail. Mais ce que je leur dis, c’est que certaines façons de manager peuvent parfois avoir des effets pathologiques. Le management aujourd’hui a trop tendance à valoriser ce qui est dépersonnalisé et standardisé, et à dévaloriser ce qui est informel et subjectif. Cette logique managériale peut créer de la souffrance au travail.

On a besoin des managers. Pas pour contrôler les individus, les surveiller, leur mettre la pression mais pour organiser le travail de façon plus agréable pour tout le monde. Pour aider les employés à déployer leurs compétences et leurs souhaits, à s’épanouir dans leur travail. Les employés ne devraient pas vivre leur travail comme un fardeau, une difficulté, une épreuve.

L’objectif final de ce livre, dans l’idéal, ce serait de modifier tout le circuit de formation des managers et remettre les choses à l’endroit. Même si je généralise. Il y a plein de formations où les formateurs sont très intelligents et critiques qui sont capable de déconstruire le management et d’avoir un recul critique.

Il m’arrive moi-même de faire des formations et d’intervenir dans des entreprises intéressées par ces questionnements.

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