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3QA – Tristan Nitot

| 18 septembre 2015
3QA – Tristan Nitot

Tristan Nitot est une personnalité. Il est même plusieurs personnalités à lui seul : ancien fondateur et président de la fondation Mozilla Europe, il a participé au succès du navigateur web Firefox ; il s’est imposé comme une figure des standards du web et du logiciel libre ; il siège au Conseil National du Numérique ; il termine un livre dénonçant la généralisation de la surveillance numérique ; il accompagne le développement de Cozy Cloud, une startup développant une solution de gestion personnelle et sécurisée de ses données sur internet ; il est également coach en développement personnel.

 

1- Vous terminez l’écriture d’un ouvrage sur le contrôle de nos données personnelles dans un contexte de surveillance de masse. Cette surveillance de nos informations privées est-elle réelle ? 

Je vais vous donner un exemple parmi d’autres. Lorsque je travaillais au sein de la fondation Mozilla au développement de notre navigateur Netscape, est venu tout naturellement un moment où nous avons développé notre réflexion sur la vie privée et sa protection. À peu près dans le même temps, nous nous sommes intéressés de très près au monde du téléphone mobile.

Il est très vite apparu, par exemple, que le système Android promu par Google pour les téléphones mobiles était en réalité un mouchard de poche. Cet outil est en réalité un cheval de Troie et n’a été conçu que dans le but de tout savoir des utilisateurs et de récupérer le plus de données possibles les concernant. La question n’est pas de savoir ce que Google fait de ces données, mais de prendre conscience qu’avec un tel système, c’est la notion même de vie privée qui est bouleversée. On dit que les données sont le pétrole du 21e siècle. D’accord, mais ce sont nos données, et il ne faudrait pas l’oublier.

En entreprise, il peut paraître parfaitement légitime de mettre en place des outils de surveillance afin par exemple d’assurer la protection des ressources de la société contre un extérieur qui pourrait être hostile. De même, il est tout aussi légitime de s’assurer que les ressources proposées aux employés soient correctement utilisées. Et les entreprises le font. Mais elles oublient de considérer le facteur humain et le fait que leurs employés n’ont pas envie d’être surveillés. Pire, que cette surveillance a un effet désastreux sur le bien-être et les performances de ces employés.

tristan nitot mieux

2- Est-ce que cette surveillance numérique aura nécessairement un impact négatif sur notre vie ?

Pour aborder ce sujet, il est intéressant de faire un parallèle avec une architecture carcérale imaginée au 18e siècle : la panoptique. L’idée est de permettre à un gardien, logé dans une tour centrale, d’observer tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour. Mais, surtout, cette surveillance devait pouvoir être effectuée sans que les prisonniers puissent savoir s’ils sont observés. Le but avoué était que les prisonniers s’imposent eux-même un principe d’auto-contrôle : impossible de faire un écart de conduite lorsque le gardien avait le dos tourné, puisqu’il était impossible de savoir s’il avait le dos tourné.

Nous vivons dans un monde qui devient de plus en plus panoptique, avançant dans une utopie sécuritaire partagée par beaucoup de sociétés modernes. Caméras de surveillance, écoute des réseaux, croisement de données… nous sommes fichés et suivis. Et s’instille doucement en chacun de nous le sentiment d’être surveillé en permanence, que cela soit la vérité ou non. L’expression « Big Brother is watching you » prend aujourd’hui tout son sens, dans la mesure où c’est un sentiment partagé par de plus en plus de gens.

Du coup, là où l’Etat espère une auto-régulation des comportement des populations, s’installe un sentiment déjà connu depuis longtemps dans les open spaces des entreprises – lieux de la surveillance de chacun par chacun – et qui oriente le comportement des individus. Et pas dans le sens voulu.

Les gens peuvent développer des stratégies de résistances à cette oppression constante, et surtout développer un stress qui va à l’encontre d’une meilleure performance pour l’entreprise. Lorsqu’on se sait surveillé, on se retient, par peur de faire quelque chose de mal. On n’ose rien, on ne tente rien. Car si on se trompe, cela pourrait se savoir et être jugé de manière négative. Et pourtant, tout le monde sait que c’est en se trompant que l’on apprend et que l’on crée.

Par ailleurs, on a tous des choses à cacher, même les entreprises elles-mêmes : des méthodes, des secrets de fabrication, des indicateurs de performance, etc. Que se passera-t-il lorsqu’elles réaliseront que, à leur tour, elles n’auront plus de secret pour leurs concurrents ?

 

3- Qu’est-ce qui motive quelqu’un comme vous aujourd’hui ?

Paradoxalement, je suis fondamentalement un fainéant. Un jour, je me suis rendu compte que le seul moyen de me motiver était de faire des choses qui m’intéressaient. C’est certainement pour cela que je suis devenu évangéliste technologique : avoir une influence positive sur les gens m’intéresse et me motive. Je ne crois d’ailleurs pas être le seul. Globalement, de plus en plus de gens ont aujourd’hui besoin de sens pour pouvoir avancer.

Ensuite, j’en conviens, avoir envie d’aller dans cette direction est une chose, le faire en est une autre. Je reconnais que j’ai eu de la chance dans mon parcours professionnel, avec des rencontres et des opportunités à des moments clé qui m’ont aidé à avancer : l’avènement des standards sur internet a décidé du combat dans lequel j’ai finalement choisi de m’investir.

Mais c’est une partie du travail que je mène en tant que coach que d’expliquer que les clés sont dans nos mains et que le choix sera toujours nôtre.

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