Pourquoi et comment vos collaborateurs s’engagent dans les IRP (instances représentatives du personnel) ?
L’engagement des collaborateurs dans les instances représentatives du personnel (IRP) est un maillon essentiel du dialogue social en entreprise. Avec Abdel Benchabbi, fondateur de CSE Consultant, nous évoquons les raisons qui poussent à l’engagement, mais aussi les obstacles, et l’accompagnement des représentants du personnel.
Pourquoi les collaborateurs choisissent-ils de s’engager dans une instance représentative du personnel (IRP) ?
Les raisons qui poussent les collaborateurs à s’engager dans une IRP sont multiples et souvent très personnelles. Parfois, cet engagement fait suite à un événement marquant dans la vie professionnelle du collaborateur ou de la collaboratrice. Cela peut être un changement de direction ou une réorganisation qui sont venus altérer leur perception de l’entreprise. L’IRP devient alors un moyen de contester ou de rééquilibrer des injustices perçues. Cela en accédant à une plateforme d’expression et à une forme de contre-pouvoir.
Dans d’autres cas, l’engagement s’inscrit dans la continuité d’une tradition familiale ou culturelle. Le collaborateur ou la collaboratrice a grandi dans un environnement marqué par le militantisme – syndical ou associatif. Leur sensibilité les oriente naturellement vers la représentation des salariés. La rencontre d’une figure influente et juste au sein de l’entreprise peut aussi donner envie de suivre son exemple et de s’engager.
Enfin, devenir représentant du personnel peut répondre à une quête de sens lorsqu’un salarié a l’impression d’avoir fait le tour de son poste. Cela permet alors de valoriser à nouveau son travail et d’apporter une dimension sociale et humaine à son quotidien.
Quels sont les principaux obstacles à l’engagement des salariés dans les IRP et comment peuvent-ils être surmontés ?
Un des principaux freins est la peur, intériorisée, d’être perçu comme étant en opposition à la direction en tant que représentant du personnel. Même si elle n’est pas toujours fondée, cette crainte est présente dans la culture française.
Laisser planer cette idée que la direction et les IRP ne sont pas dans le même camp arrange parfois certaines directions, car cela dissuade une partie des collaborateurs de s’engager. À mon sens, c’est un mauvais calcul. En laissant planer cette idée, les modérés vont être dissuadés de s’engager. Les plus virulents, si j’ose dire, vont passer outre. Or, il est dans l’intérêt de tous d’avoir des représentants aux profils variés.
Certaines entreprises mettent en place des actions pour, au contraire, encourager l’engagement de leurs collaborateurs et collaboratrices. Il peut s’agir d’ »accords de droits syndicaux » qui offrent des garanties aux représentants (heures de délégation supplémentaires, budget spécifique au prorata des voix aux élections, garanties d’évolution de salaire…). C’est une bonne pratique qui envoie un message clair : l’employeur ne fait pas la chasse aux représentants du personnel.
Des employeurs font cela de manière plus informelle, sans rien écrire, en cultivant un climat de confiance et de dialogue franc avec les élus. C’est bien mais attention, cela reste fragile et dépendant des personnes en place.
Concrètement, comment se forment les collaborateurs qui s’engagent ?
Tout dépend de la situation. En cas d’engagement à la suite d’un événement soudain comme un plan social, les nouveaux élus se retrouvent plongés dans le grand bain sans avoir été préparés. Dans un environnement plus stable, l’adaptation se fait de manière graduelle.
On commence souvent par adhérer à un syndicat (bien que ce ne soit pas systématique) avant de devenir suppléant au CSE. Un peu comme un remplaçant dans une équipe sportive, on apprend alors progressivement dans ce rôle.
Avant la fusion des instances, il était possible de s’initier à des responsabilités spécifiques (souvent avec un rôle d’intermédiation). On pouvait être délégué du personnel, sans rôle politique, et gérer des problèmes de sécurité ou de salubrité par exemple. Ce type de mission offrait une première expérience accessible.
Désormais, on demande aux élus de maîtriser d’emblée un large éventail de compétences, sans étape transitoire. Ils doivent être immédiatement opérationnels sur tous les fronts, ce qui est rarement possible.
Comment se traduit l’engagement des collaborateurs au sein des IRP au quotidien ?
Les collaborateurs engagés agissent comme porte-parole des salariés, mais doivent souvent jongler avec la synthèse de différentes voix, parfois divergentes. Ils sont également responsables de la mise en œuvre d’un programme politique, tout en gardant en tête les remontées du terrain.
En pratique, les représentants sont souvent, de fait, plus à l’écoute des collaborateurs qui se plaignent que de ceux qui ne s’expriment pas. Ils jouent un rôle de « chambre des doléances ». Organiser des rencontres régulières avec les collaborateurs serait idéal, mais les urgences du quotidien et la taille des entreprises rendent souvent cela difficile.
Dans les grandes structures, un système de filtre informel se met souvent en place. Les jeunes vont voir les anciens qui connaissent bien les syndicats. Ces anciens font remonter les problèmes aux délégués qu’ils côtoient parfois depuis 10 ou 20 ans.
Comment les entreprises peuvent-elles mieux accompagner les collaborateurs dans leur engagement au sein des IRP ?
La formation syndicale prévue par le Code du travail est un bon outil. Elle permet à des salariés pas encore élus d’apprendre le rôle d’un CSE. C’est l’occasion d’échanger avec des délégués chevronnés et des représentants d’autres entreprises. Cela ouvre les yeux sur ce qui est possible de faire et peut susciter des vocations.
Ensuite, plutôt que d’augmenter les heures de délégation, il faudrait, à mon sens, les rendre plus facilement mutualisables entre élus selon les besoins (maladie, charge de travail…). Le Code du travail manque de souplesse sur ce point.
Le nombre d’heures devrait aussi tenir compte de la configuration de l’entreprise. S’il faut faire le tour de multiples sites en France, ce n’est pas la même chose que si tout le monde est regroupé au siège.
Je milite enfin pour la mise en place de représentants de proximité (désormais optionnelle dans le Code du travail), qui ont plus ou moins la même fonction que les anciens délégués du personnel. Beaucoup d’employeurs ne les mettent pas en place, car ce n’est plus obligatoire. C’est dommage. Mieux vaut régler les petits problèmes localement que de les laisser s’envenimer et remonter au niveau central. Et puis c’est aussi un bon terrain d’apprentissage pour de futurs élus.